Voici une analyse de FNL que j'aime beaucoup, qui résume beaucoup ce que je pense de cette série.
C'est un peu long mais j'aime bien.
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C’est l’Amérique de George W. Bush. Celle qui l’a porté à la Maison Blanche en 2000 (malgré une minorité de voix) et qui l’a réélu en 2004 (dans des conditions identiques) pour un second mandat dont l’Histoire devra juger un jour. Cette Amérique que depuis huit ans on nous a montrée à longueur de reportages et que finalement, nous, Européens, connaissons si mal parce que peu nombreux sont ceux qui ont pris la peine de traverser l’océan Atlantique pour aller l’explorer. Bien sûr, nous véhiculons quelques solides clichés sur ce qu’elle est et sur la manière dont elle vit, mais au fond elle nous reste largement étrangère et difficilement compréhensible.
C’est cette ignorance, ce fossé dans la connaissance, que Friday Night Lights, diffusée sur NBC, parvient à combler d’une manière tout à fait remarquable. Jamais une série n’avait osé prendre comme thème central l’Amérique profonde (celle qui vit dans des petites villes de vingt à cinquante mille habitants) et le traiter de manière sérieuse. Sans faire usage de la dérision. Jamais, on n’avait raconté son histoire de la sorte, ni montré ses incertitudes avec autant de finesse et ses travers avec autant de justesse. Et certainement, jamais une série n’avait creusé aussi profondément ce sillon. Par certains côtés Friday Night Lights est une espèce de documentaire, de témoignage poignant d’une réalité sociale.
En centrant une partie de l’action sur la vie d’adolescents, les producteurs Brian Grazer et David Nevins ont magistralement évité le piège de la caricature. FNL (anagramme de NFL - National Football League) ne dénonce rien, elle ne prend aucun parti, elle ne se place pas sur le plan de la morale, elle ne formule aucune critique. Elle ignore la question du “pourquoi” pour ne répondre qu’à la question du “comment”. Elle se contente de montrer ce que ne pourrait pas voir un simple touriste de passage. D’ailleurs, ce n’est pas à lui qu’elle s’adresse. Episodes après épisodes, elle établit les chroniques d’une Amérique ordinaire.
A ce stade planter le décor devient essentiel. Dillon est une petite ville paisible du Texas, cet Etat arraché aux Mexicains par les colons et qui a toujours cultivé une fierté patriotique et un mépris pour le reste des membres de l’Union. Le Texas n’est pas seulement l’Etat le plus vaste après l’Alaska, il n’est pas non plus une immense réserve pétrolière, il constitue une entité qui n’a jamais renoncé à sa particularité.
A Dillon, quand on a dix-sept ans, on a rapidement le sentiment de s’ennuyer. Alors, il y a deux manières d’occuper son temps libre : la religion et le football (américain).
La religion est un intégrateur social extrémement puissant, dont il convient de ne pas sous-estimer l’importance. On se souvient du documentaire “Le Monde Selon Bush” qui prenait la peine de rappeler que le président des Etats-Unis et ses conseillers commençaient chacune de leurs réunions, quel que soit l’agenda, par une prière commune.
Le football est, lui, un ascenseur social. Il est le moyen d’échapper à son milieu et d’accomplir le rêve américain. De devenir son propre patron, de réussir sa vie. Dillon possède une équipe de jeunes particulièrement brillants, puisqu’elle est championne en titre de l’Etat. Et son entraîneur, Eric Taylor (Kyle Chandler) remplit l’office du Bon Samaritain : il aide les âmes généreuses, conseille celles en proie au doute et sauve celles qui se sont perdues dans les méandres de l’existence. La série s’inspire d’un film, paru en 2004, qui racontait l’épopée du petit club d’Odessa en 1988 et respectait largement les faits réels. Les noms des personnages n’étaient même pas fictifs.
Friday Night Lights parle avant tout de cette jeunesse américaine, inquiète de son avenir et prisonnière de son confort. Quand les Etats-Unis avaient refusé de ratifier le protocole de Kyoto destiné à lutter contre le réchauffement climatique, George W. Bush avait expliqué que le mode de vie des Américains ne pouvait pas dépendre d’accords internationaux et qu’à aucun prix, il ne pourrait être remis en cause. C’est dans ce monde que vivent les personnages de FNL. Tout est à leur portée, tout est à leur disposition, sauf le bonheur car celui-ci ne s’accorde pas avec l’ignorance. L’opulence n’est pas d’une grande utilité lorsque l’on subit la dictature des biens matériels.
Bien qu’une partie de l’histoire se déroule au lycée, la culture est quasiment absente. Les études sont considérées au mieux comme un ennui, au pire comme un handicap. La seule chose qui vaille est la réussite et l’accomplissement de soi : peu importe ce que l’on fait, l’essentiel est de réussir. Cela peut être réussir à vendre une voiture pour un jeune employé d’une concession automobile, cela peut être recruter des paroissiens pour la messe du dimanche, ou cela peut être remporter un match de football le vendredi soir ou encore intégrer une université en tant que boursier.
Cette Amérique est celle qui ne se pose pas de questions parce qu’elle ne pense pas. Ou plutôt, elle ne pense plus. Elle est l’incarnation de la défaite de la pensée. Elle est celle qui consomme parce qu’elle peut consommer plus qu’elle n’a besoin. Au passage la question des rapports avec la nourriture est évoquée un peu trop discrètement alors que les adolescents passent une partie non négligeable de leur temps à se remplir la bouche et l’estomac.
Dans cette Amérique, la connaissance et la culture sont en butte à la détermination. A la réflexion s’oppose l’action. Ne pas agir dans cette Amérique, ne pas prendre de décision revient à ne pas exister. Pire, cela aboutit à se condamner soi-même et à se retirer du reste du groupe social. Est alors mise en pratique à l’échelle d’un peuple, cette idée prêtée à André Malraux, selon laquelle les hommes ne sont que la somme de leurs actes.
Il devient tout à coup clair que l’avenir est uniquement perçu sous un angle individuel et non plus collectif. La notion de groupe n’a plus de sens au-delà du cercle de ses connaissances. Et lorsque qu’est exalté l’esprit sportif, le dévouement et le sacrifice de soi, cela ne peut être qu’en raison d’une appartenance parfaitement identifiée à un club de football, par exemple.
Dans le même temps - et de manière très compréhensible - cette absence froide de questionnement sur son identité se drape dans une ferveur religieuse, tout à fait brûlante. On réfléchit ensemble en écoutant le pasteur. On ne traite de la question de l’existence qu’une fois réunis par une raison commune et on la traite seulement à travers le prisme des recommandations fournies par les textes sacrés.
Le tout aboutit à un sentiment vertigineux : celui d’un vide sidéral dans la réflexion et d’un abandon de l’intelligence au profit d’un règne sans partage du simple bon sens et de l’action. La question de savoir qui est chacun de nous trouve sa réponse dans ce que chacun de nous fait. Quoi qu’il fasse.
Et comme nous sommes au pays des petits Blancs, l’intégration des Noirs reste, bien que nous soyons en 2007, un problème. A travers ce dernier thème, on s’aperçoit que l’Amérique de George W. Bush n’a pas beaucoup changé et reste largement comparable à celle de Lyndon Johnson et Richard Nixon.
Friday Night Lights, bien que saluée par les critiques nationales aux Etats-Unis et récompensée par deux Emmy Awards en 2007, n’a jamais eu les faveurs du public qui ne devait certainement pas apprécier qu’on lui renvoit une image aussi précise, brutale et crue de lui-même. La saison 2 a été réduite à 15 épisodes en raison de la grève des scénaristes mais une saison 3 est envisagée, NBC ayant fait preuve d’une certaine bonne volonté après une forte mobilisation des fans. Le réseau a accepté une diffusion en alternance avec Direct TV, ce qui devrait offrir à tous les téléspectateurs une poursuite de la plongée dans ce monde tellement ordinaire qu’il en est fascinant.
Source : http://seriestv.blog.lemonde.fr/